Monseigneur,
Chers confrères, chers collègues professeurs,
Chers séminaristes et étudiant(e)s de l’IDF,
Chers familles et amis,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Mot de bienvenue
La nouvelle année académique nous donne une fois encore la joie de nous rencontrer. C’est de grand cœur qu’en tant que recteur du Séminaire et directeur de son Studium, pour la 5e année consécutive, je vous accueille dans les murs de cette institution multiséculaire. Je salue en particulier Mgr Guy Harpigny, évêque de Tournai, qui représente la conférence épiscopale et qui présidera l’Eucharistie de ce soir : il vient de fêter 20 ans d’épiscopat ! Je dois excuser Mgr P. Warin, évêque de Namur, qui est en ce moment à Lourdes avec le pèlerinage diocésain, ainsi que Mgr J.-P. Delville, évêque de Liège, actuellement en session à Berlin. Enfin, j’excuse, tout en félicitant chaleureusement, notre tout nouvel archevêque, Mgr Luc Terlinden, qui est retenu par d’autres engagements. Occasion pour moi de rappeler que Mgr Terlinden s’est investi généreusement dans la formation des futurs prêtres comme professeur de théologie morale d’abord à Louvain-la-Neuve, puis ici à Namur. Il était par ailleurs président du Séminaire de Malines-Bruxelles. Une responsabilité que vient d’accepter l’abbé Alain de Maere, doyen de Tubize, que je tiens à accueillir officiellement dans l’équipe des présidents diocésains ici présents.
Comme vous le savez, le Séminaire travaille en étroite collaboration avec l’Institut Diocésain de Formation (IDF), dont la mission est de former les futurs diacres, les futurs professeurs de religion (CDER), les agents pastoraux (CETP) et tout auditeur libre. Là aussi, il me plaît de saluer la nomination de l’abbé Léon-Ferdinand Karuhije comme nouveau directeur de l’IDF. L’abbé Karuhije est prêtre du diocèse de Namur et professeur de théologie dogmatique, entre autres, au Studium du Séminaire depuis 2012. Il donnera tout à l’heure la conférence inaugurale. Cher Léon-Ferdinand, puisse cette nouvelle responsabilité engendrer une collaboration créative, sereine et fructueuse entre le Séminaire et l’IDF, au profit de la formation des membres du peuple de Dieu. Encore toutes mes félicitations et sois assuré de mon soutien !
Sur le plan académique, le Séminaire et son Studium entretiennent aussi des liens d’affiliation et de partenariat avec diverses institutions, comme la Faculté de philosophie de l’UNamur et la Faculté de théologie de l’Université Catholique de Louvain. À cet égard, je salue la Prof. Laura Rizzerio et je dois excuser les professeurs Nicolas Monseu et Dominique Lambert (de l’UNamur) et aussi le Doyen Geert Van Oyen et le prof. Dominique Jacquemin (de la Faculté de théologie de l’UCLouvain), retenus par d’autres engagements en cette rentée.
Je salue aussi cordialement l’abbé Benoît Menten, recteur du séminaire Redemptoris Mater de Namur, qui s’apprête à gagner l’Italie pour la réunion internationale du néo-catéchuménat : espérons qu’il nous rapporte quelques séminaristes dans ses bagages !… Bienvenue aussi au P. Matthieu Rougée, et à son nouvel adjoint, le P. Paul-Marie de Brunhoff, du diocèse de Paris, responsables de la « Maison St-Joseph » ici à Namur, maison qui accueille, pour une année, les propédeutes de la communauté de l’Emmanuel et avec laquelle notre Séminaire entretient un partenariat pour certains cours. Bienvenue aux supérieurs de communautés, qui nous confient leurs novices pour leur formation : je pense notamment à Dom Bernard Lorent, abbé de Maredsous ; au p. Brice Akagbo, prieur des Augustins de Gand.
Bienvenue enfin à tous les séminaristes, aux consacré(e)s, aux étudiant(e)s de l’IDF, à leurs familles et amis. Bienvenue aux prêtres qui accueillent des séminaristes en stage pastoral le week-end. Bienvenue à tous les amis du Séminaire qui nous soutiennent, non seulement matériellement, mais aussi et surtout spirituellement : votre prière nous est précieuse !
Des joies et des chiffres
En juin dernier, nous terminions l’année académique dans la joie des ordinations : 8 nouveaux prêtres issus du Studium ont été ordonnés dans les différents diocèses. Cette joie s’est prolongée avec les JMJ à Lisbonne : tous les séminaristes y ont participé, ils ont accompagné des jeunes de leurs paroisses, de leur diocèse ; ils ont animé des temps d’échange et de prière. Nul doute que cette expérience ecclésiale forte marquera leur ministère futur. Dans la même ligne, plusieurs séminaristes se sont rendus à Lourdes en s’investissant dans l’animation de groupe et dans le service des moins valides. Lourdes est toujours un lieu de grâce, de foi et de service, où les personnes fragiles, malades et handicapées sont premières : c’est le monde à l’envers et l’Évangile à l’endroit ! C’est nourris de ces expériences pastorales, et encore de bien d’autres, que les séminaristes rentrent au séminaire pour entamer une nouvelle année. Une année que nous avons placée sous le regard du Seigneur en vivant une très belle retraite à l’abbaye ND d’Orval, prêchée par notre directeur spirituel, le P. Thierry Lievens, sur le thème de la Sagesse.
Au niveau du nombre, on compte 17 séminaristes diocésains, issus des quatre diocèses francophones de Belgique. Parmi eux, j’accueille spécialement les 6 nouveaux propédeutes qui, avec foi et audace, viennent de pousser la porte du Séminaire : Zacharie, Lucien, Cyril, Christian, Ghislain et Valentin. On compte en outre 11 séminaristes diocésains du Chemin Néo-catéchuménal – dont 7 sont en mission pastorale itinérante. Au total, il y a donc actuellement 28 séminaristes diocésains pour la partie francophone de la Belgique (4 pour Tournai, 5 pour Liège, 7 pour Malines-Bruxelles (F), 12 pour Namur).
À côté des séminaristes, on compte aussi quelques religieux, ainsi que, bien entendu, quelques dizaines d’étudiants de l’IDF, qui suivent des cours à Namur (mais aussi à Libramont et à Rochefort). À l’heure de la synodalité, cette variété de vocations, d’états de vie, de missions est une vraie richesse, tant elle reflète l’unité dans la diversité caractéristique du Peuple de Dieu.
Une étude portée par la prière
Ceci étant dit, au-delà des chiffres, je voudrais profiter de cette rentrée académique pour souligner, spécialement à l’adresse des futurs prêtres et acteurs pastoraux, combien il est important de bien articuler les différentes dimensions de la formation au sein de notre Studium. L’an dernier, je rappelais l’importance de la finalité pastorale de toute formation théologique. Cette année, je voudrais plutôt mettre l’accent sur le lien fort qui doit exister entre l’étude (tant de la philosophie que de la théologie) et la prière, autrement dit, entre le travail intellectuel et la vie spirituelle.
Un jour, un dominicain m’a dit : « Pour nous, étudier, c’est prier ! ». Plusieurs séminaristes qui étaient présents se sont étonnés de cette affirmation… En effet, force est de constater que l’étude peut parfois être décapante pour la foi et la prière. Il y a même parfois un danger de séparation radicale entre les discours théologique et spirituel. Pour éviter tout conflit, on en fait deux mondes complètement étrangers. On dira par exemple que la théologie est de l’ordre de la raison, de la réflexion, plus aride, tandis que la foi est de l’ordre du cœur, de la vie intérieure et morale, du sentiment religieux, de l’intuition, de la dévotion. Cette position, qui s’apparente à un « discordisme » peut conduire à une forme de fidéisme, à un anti-intellectualisme. Le discordisme insinue un dualisme, une « double vérité », théologique et spirituelle, sans lien[1].
Prenons l’exemple de l’exégèse biblique. Certes, un cours d’exégèse n’est pas une lectio divina, il faut distinguer les genres . Mais, en même temps, l’exégèse (avec sa méthode scientifique et herméneutique, avec sa technicité linguistique…) devrait favoriser et nourrir la lectio divina, en vue de la prière personnelle et de la prédication future ; l’exégèse de la Parole est comme un arrière-fond pour la méditation et pour la prédication. Le Pape Benoît XVI déplorait d’ailleurs cette séparation indue parfois opérée entre ces deux approches de la Parole :
« Il s’est créé un profond fossé entre exégèse scientifique et lectio divina; il en ressort parfois une forme de perplexité également dans la préparation des homélies. On doit aussi signaler qu’un tel dualisme produit parfois incertitude et manque de solidité dans le chemin de formation intellectuelle de certains candidats aux ministères ordonnés »[2].
Plus largement, il y a donc une unification, une articulation à trouver entre théologie et vie de prière, entre raison et foi, « sans confusion, sans séparation » (critère chalcédonien !). Cette unification doit se vivre non seulement au Séminaire, mais tout au long de la vie. « Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton nom ! », pourrait-on prier avec le psalmiste (Ps 85,11).
Un rapide coup d’œil sur l’histoire de la théologie peut s’avérer intéressant.
À l’époque patristique, on a une approche relativement unifiée : les Pères sont à la fois de fins théologiens (docteurs), des spirituels d’une grande profondeur et sainteté, des pasteurs perspicaces et dévoués.
À partir du 12e – 13e s., la séparation entre la théologie et la vie spirituelle commence à se marquer (ce qu’illustre d’ailleurs le conflit qui naît entre la théologie monastique de S. Bernard et la théologie dialectique d’Abélard). De même, la philosophie acquiert une certaine autonomie avec S. Albert le Grand. Toutefois, ce phénomène de séparation va ensuite dramatiquement se radicaliser[3], au point que S. Bonaventure se sente obligé de mettre en garde :
« Ne crois pas qu’on peut se satisfaire de la lecture sans componction, de la spéculation sans dévotion, de la recherche sans admiration, de la prudence sans exultation, de l’activité sans piété, de la science sans charité, de l’intelligence sans humilité, de l’étude séparée de la grâce divine, de la réflexion séparée de la sagesse inspirée par Dieu »[4]
Et avec le développement de la devotio moderna, la vie spirituelle devient une mystique indépendante de la théologie dogmatique.
Le cardinal suisse Hans Urs von Balthasar (1905-1988), grand théologien, tentera de rouvrir le chemin de la théologie comme expérience spirituelle et spéculative. En effet, pour lui, théologie et prière sont inséparables : « La théologie est indissociable de la sainteté. Le vrai travail d’un exégète ou d’un théologien ne peut se faire que dans un lien vital avec le Christ, à l’image du sarment rattaché à la vigne »[5]. Et de déplorer qu’à un moment donné, on est passé « de la théologie à genoux à la théologie assise… : la théologie ‘scientifique’ s’est éloignée de la prière et a perdu le ton avec lequel il faut parler du sacré »[6]. Au fond, les saints sont les véritables théologiens de l’Église : « L’existence des saints est de la théologie vécue… Leur théologie est essentiellement un acte de l’adoration et de la prière »[7].
Le cardinal Ratzinger dira lors de ses funérailles :
« Balthasar savait que la théologie est déployée entre les abîmes de l’obéissance adoratrice et de l’amour humble. Il savait que la théologie ne peut se mettre en mouvement que par ce contact avec le Dieu vivant, qui s’accomplit dans la prière… C’est pourquoi Balthasar a forgé le mot de théologie agenouillée[8] ».
Le Pape François lui-même exhortait encore récemment les théologiens à être « en prière » et « à genoux » :
« Pour être un bon théologien, en plus d’étudier, il faut avoir du dévouement, être vif et saisir la réalité ; il faut réfléchir à tout cela à genoux. Un homme qui ne prie pas, une femme qui ne prie pas, ne peuvent être théologien ou théologienne. Ils seront le volume de Denzinger personnifié, ils connaîtront toutes les doctrines existantes ou possibles, mais ils ne feront pas de théologie. »[9]
Concrètement, cette invitation de HUvB et du Pape François à une « théologie à genoux » signifie pour nous qu’il faut cultiver une « circularité » (FR 73) entre théologie et prière : la théologie s’enracine dans la foi, dans la vie de prière, dans la rencontre avec le Christ. Inversement, la théologie déploie cette rencontre de Dieu ; elle nourrit la vie spirituelle ; elle exerce aussi parfois un rôle purificateur sur les expressions de notre vie spirituelle (pratiques dévotionnelles…). En d’autres termes, expliquait le moine A. Louf, il s’agit d’éviter l’« académisme scientifique » et de rester à l’écoute de l’expérience du cœur : le sérieux scientifique dans la théologie doit être confronté sans cesse à l’expérience intérieure et toujours au service de celle-ci[10].
Outre cette circularité, il s’agit de cultiver l’humilité théologique : l’Objet de la théologie est un Sujet qui se révèle à nous, qui fait alliance avec nous , qui nous aime. Contrairement à la démarche scientifique, il s’agit d’adopter une attitude de « démaîtrise », d’accueil du donné de la Révélation, d’émerveillement, d’adoration et de respect devant le mystère, qui indique ce mystère[11] : en théologie, nous essayons de comprendre quelqu’un qui nous comprend et qui nous dépassera toujours (infinie transcendance de Dieu : Deus semper maior !), de saisir quelqu’un qui nous a saisis le premier. On le voit : la raison théologique est un moment de la foi et non l’inverse (pour Hegel, la foi est un moment à dépasser dans le déploiement de l’Esprit absolu). La foi est première et postule le moment théologique : Credo ut intelligam (« je crois pour comprendre »).
En résumé, toute théologie doit ultimement devenir « doxologie », c.-à-d. à la gloire de Dieu. Toute recherche théologique, tout cours, toute prédication, toute conférence, doit finalement conduire à mieux faire percevoir l’amour de Dieu pour nous et les merveilles du salut, et en retour, cela doit nous inciter à le glorifier, à nous attacher plus étroitement à lui, à l’aimer davantage, ainsi que notre prochain. En un mot, la théologie doit conduire à la charité, sa finalité est l’agapê, tant il est vrai que « la science enfle, mais la charité édifie » (1Co 8,1).
Enfin, cette visée doxologique s’accompagne bien entendu d’une visée ecclésiale : la vie de foi, la vie spirituelle est ecclésiale, car on n’est pas croyant tout seul (unus christianus, nullus christianus). Et donc, la démarche théologique est nécessairement aussi ecclésiale et même synodale : elle doit se déployer en communion avec tout le Peuple de Dieu et avec le Magistère vivant de l’Église, à l’écoute de la vie de l’Église (sensus fidei), des saints, des communautés, des questions et des cris du monde. Il est important de se laisser sans cesse interpeller, car Dieu nous parle à travers les ‘signes des temps’.
En guise de conclusion, permettez-moi de reprendre simplement cette belle prière de S. Thomas d’Aquin, prière qu’il récitait avant de s’appliquer à l’étude de la théologie :
« Nous t’en prions, Dieu de miséricorde,accorde-nous de désirer avec ardeur ce qui t’est agréable, de le chercher avec prudence, de le découvrir sans erreur et de le mettre en pratique avec ferveur, À la louange et à la gloire de ton Nom. Amen! »[12]
Puisse cette prière inspirer notre travail philosophique et théologique. Je vous remercie pour votre écoute attentive et vous souhaite une excellente année académique.
Abbé Joël Spronck, recteur
[1] On retrouve ce discordisme chez certaines personnes lorsqu’il s’agit d’articuler discours scientifique et discours religieux. Ainsi, on se souvient du physicien Faraday (19e s.) qui fermait scrupuleusement à clé son laboratoire lorsqu’il allait prier dans son oratoire, et vice-versa.
[2] Exhortation post-syn. Verbum Domini, 2010, n° 35. Repris dans Le don de la vocation presbytérale. Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis, 2017, n° 166 (n. 3).
[3] Cf. S. Jean-Paul II, Fides et ratio, 1998, n° 45s. : « Le drame de la séparation entre la foi et la raison ».
[4] S. Bonaventure, Itinerarium mentis in Deum, Prologue, 4 (Opera omnia, Florence, 1891, t. V, p. 296, cité dans Jean-Paul II, Fides et ratio, n° 105).
[5] Ph. Barbarin, Théologie et sainteté. Introduction à H.-U. von Balthasar, Paris, Parole et Silence, 2017, 87.
[6] « Théologie et sainteté », 1948, 1960, republié dans Ph. BARBARIN, op. cit., 93-123, ici 122.
[7] H.-U. von Balthasar, « Théologie et sainteté », in Ph. BARBARIN, op. cit., 118.120.
[8] Homélie publiée dans Communio XVI, 2 (mars-avril 1989) 4-11.
[9] « Dialogue avec les jésuites de Colombie », septembre 2017.
[10] Ch. Wright, Le chemin du cœur. L’expérience spirituelle d’André Louf (1929-2010), Paris, Salvator, 2017.
[11] « Je regarde ma théologie comme une sorte de doigt de Jean-Baptiste pointé vers la plénitude de la Révélation en Jésus-Christ, déployée dans la plénitude inouïe de sa réception dans l’Église, avant tout dans la méditation des saints » (H.U. von Balthasar, Geist und Feuer. Ein Gespräch mit H.U.v.B., interview pour ses 70 ans, 1975, p. 13).
[12] Prière récitée par S. Thomas d’Aquin avant de s’appliquer à l’étude de la théologie.
Autre belle prière, cette fois de S. Anselme de Canterbury (1033-1109) : « Enseigne-moi à Te chercher, Seigneur, montre-toi à qui Te cherche, car je ne puis Te chercher si Tu ne m’enseignes, ni Te trouver si Tu ne te montres. Que je Te cherche en désirant, que je désire en cherchant. Que je trouve en aimant, que j’aime en trouvant. » (Proslogion, 1).